Julien Bismuth

17.05.2013
Julien Bismuth — Galerie Georges-Philippe & Nathalie Vallois

Portrait de Julien Bismuth

Cette nouvelle exposition personnelle à la galerie apparaît très différente de la précédente intitulée « Les Continents incontinents » (2009), dans laquelle étaient présentés des dessins, des sculptures mais également une performance le soir du vernissage. L’exposition « Perroquet » est peuplée d’images et relève plutôt de la peinture.

Julien Bismuth : Même si cette exposition est différente de la précédente, je crois qu’il existe toujours un rapport au texte, à l’action et à la performance dans l’activation des objets. Dans la précédente exposition, je cherchais déjà la manière de créer un objet qui ne soit pas seulement un objet, mais aussi un outil, une trace, une métaphore, une allégorie en rapport avec un texte ou une action ou même un texte qui dicte une action. Pour l’exposition Perroquet, ces rapports entre l’objet et ce qui anime l’objet sont plus « discrets ». Ils sont présents mais je laisse une forme de distance, afin que le travail de réception de l’œuvre ne soit pas simplement structuré par la manière dont je la cadre avec son discours, mais pour qu’il y ait une part d’interprétation donnée au visiteur. Ces rapports sont donc plus fins et plus ténus, mais ils conservent selon moi un aspect performatif.

Pourquoi as-tu décidé d’appeler cette exposition « Perroquet » ?

“Perroquet”, c’est d’abord le titre de la vidéo présentée dans l’exposition, puis c’est devenu celui de l’exposition. Il y a dans l’idée de Perroquet un lien avec des œuvres que j’ai produites auparavant dans la galerie – notamment lors de la dernière exposition – mais aussi pour d’autres lieux. J’ai beaucoup travaillé sur l’expression, la gestuelle et tout ce qui se rapproche du mimétisme involontaire qui se tisse entre les gens, quand par exemple on sourit à quelqu’un et que cette personne nous sourit en retour. Dans la vidéo, on voit une femme en train de regarder un film que l’on ne voit justement pas. Tout ce que nous voyons du film ce sont seulement les couleurs reflétées sur le visage de l’actrice et son expression qui traduit ce qui se trame en direct.

Si l’image est très présente dans l’exposition, il en existe de différents types. Peux-tu nous les décrire ?

J’ai voulu travailler l’image selon trois types : la vidéo tout d’abord qui a un impact particulier sur le spectateur, puisqu’elle évolue sans cesse avec lui. Ensuite, les sur-peintures, qui introduisent un rapport original à l’image trouvée. Je me rends régulièrement chez des bouquinistes pour y récolter des livres et des images, que je retravaille ensuite. Pour l’exposition, j’ai extrait des illustrations en noir et blanc d’un livre sur une ancienne danseuse du Bolchoï. En utilisant la peinture blanche, j’ai altéré l’image ; le blanc n’est pas vraiment une couleur, mais il voile certaines parties de celle-ci, tout en laissant apparaître un geste en écho au mouvement des danseurs. Enfin, les sérigraphies intitulées I cannot see what I do not want to know (Je ne peux pas voir ce que je ne veux pas savoir) offrent un nouveau regard. J’ai voulu travailler avec des images de nuage, de fumée, de brouillard, des nuées qui sont toutes des fumées artificielles masquant souvent une très grande violence (une explosion, une pollution ou une manifestation). Ces images ont été collectées, recadrées puis transférées sur des écrans de sérigraphie pour les imprimer sur le mur. Ce premier geste qui est de trouver une image n’est pas tout à fait anodin ou novateur car il est à la fois présent dans le Pop-Art, dans les médias, sur Internet ; en réalité tout le monde récolte des images. Mais j’ai choisi de « nommer » ce geste différemment, en considérant celles-ci comme des citations, comme lorsque l’on cite un extrait dans un texte.

Il y a dans la série d’écrans de sérigraphie un geste très pictural : non seulement l’image est transférée techniquement, mais elle peut également être transférée chez les personnes qui en font l’acquisition, comme la « possibilité d’une œuvre ».

L’œuvre est effectivement composée d’un écran de sérigraphie et de son image. L’écran est constitué d’un cadre métallique tricolore et d’une trame dont certaines zones sont percées, qui laissent donc passer l’encre à certains endroits et d’autres non. Mais même si l’objet permet une reproduction quasi-infinie de l’image, j’ai décidé d’en cadrer les possibilités : la personne qui acquiert cette œuvre est invitée à exposer l’écran-matrice et son image, qui ne sera imprimée qu’une seule fois dans un espace donné, ce qui constitue une sorte de violence faite à la notion-même de la sérigraphie. Enfin, l’image doit être imprimée directement sur le mur, ce qui est une manière de la faire sortir d’un support permanent, et de mettre en valeur le fait qu’elle provient d’un processus d’impression qui peut être répété. Andy Warhol utilisait la sérigraphie pour créer des impressions uniques sur toile, les erreurs propres à chaque reproduction devenaient alors l’aspect unique de chaque œuvre. Dans cette série, je vise au contraire à faire une impression unique neutre et rééditable : si une personne déménage par exemple, grâce à l’écran, elle peut « déplacer » l’image en la reproduisant. En somme cette œuvre est une peinture murale, qui pourra changer de mur tout au long de sa « vie ».

Face à toutes ces images, une autre série d’œuvres est présente dans l’exposition, de manière plus discrète. On ne sait pas si ce sont des objets, des interventions, des sculptures, ou même des poèmes. Quel est leur statut ?

Cette série d’objets est dans la continuation d’une série d’œuvres que j’ai amorcée il y a un an et demi et que j’ai continué à produire pour l’exposition de la Ferme de Buisson. Ces objets ne sont pas vraiment explicités, ils sont parfois une réponse à une œuvre, une expérience, un texte, un film, une rencontre, parfois quelque chose que je vois tout simplement et que je recopie. Au lieu d’expliquer ces œuvres, donc leur donner un sens, je leur laisse un statut flottant qui donne la possibilité au spectateur de les comprendre à partir du titre ou d’instructions. Ces titres introduisent un va-et-vient signifiant entre le français et l’anglais. Par exemple, une œuvre se nomme Pli – c’est un rabat d’enveloppe inséré dans le mur – et se nomme aussi Ply du verbe « ployer » en anglais, qui renvoie également à la strate du contreplaqué (plywood). En réponse à ces œuvres, je travaille actuellement à la production d’une série de textes dont le seul lien avec ces objets sera leur titre, mais ils resteront autonomes. Ils prendront différentes formes : pour Pli (Ply) par exemple, il s’agira d’une série de 90 textes écrits lorsque j’étais au Brésil à propos de différentes choses que j’ai observé, dont une enveloppe. Ces textes se rapprochent des notes de Duchamp, ou des poèmes de Jean Arp. C’est un travail d’écriture qui s’inscrit dans la prolongation d’un travail plastique, plutôt que dans son explication, ou sa circonscription.

Cet ensemble de textes est paru en septembre 2013 à l’occasion du deuxième vernissage de l’exposition Le signe singe en collaboration avec Virginie Yassef, à la Ferme du Buisson, qui a eu lieu jusqu’au 27 octobre 2013.


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