Gilles Barbier

19.09.2013
Gilles Barbier — Galerie Georges-Philippe & Nathalie Vallois

Portrait de Gilles Barbier

La nature, la nourriture, l’encyclopédie, le langage, l’architecture… Quel est donc cet élément si vivant, si présent, qui sous-tend toutes les œuvres de l’exposition ?

Le temps! Cette notion si délicate à manipuler et si éloignée de l’objet mais qui affecte et soumet toute chose, comme un super médium. Cependant, le temps sédimentaire d’une roche n’est pas celui d’un nouveau né et dans le réel certaines temporalités ne se rencontrent jamais. J’avais envie de compresser ces temps si différents et d’évoquer cette fragilité qui consiste à systématiquement construire sur des bases chancelantes, comme du sable. J’ai toujours été attiré par les notions de retrait, de lenteur et en même temps par l’excès et la gesticulation. Mais là je voulais rêver d’une absence totale de mouvement. Dans les Still People, la structure hyperréaliste de l’oeuvre donne l’illusion d’une vie absolument immobile, en état de stase. Que se passe t-il donc quand le corps s’arrête totalement de bouger? Il entre dans un temps qui n’est plus le sien et rencontre d’autres processus : le temps du compost, celui de la croissance des plantes, de la mémoire longue. Il rejoint le cours de cette mémoire qui doit s’enfouir si elle veut se préserver, à la manière des fossiles. De même que l’encyclopédie Universalis – dont l’édition s’est arrêtée et que j’utilise dans les Still Memories – est appelée à s’enfoncer doucement dans l’oubli. Mais dans ces oeuvres, c’est le temps lent de la croissance des plantes qui va, au hasard, rouvrir les pages et en activer la mémoire.

Nous pouvons à peine deviner que ce personnage recouvert de plantes (le « Still Man ») est à ton image ; cette oeuvre-ci est-elle différente des autres représentations de toi-même comme les « clones » ou « les pions »?

Je suis revenu, pour nommer ces figures, au terme de pion qui, par ailleurs, est à l’origine de ce travail. Toute mon aventure artistique est issue de ce drôle de dispositif mis en place à ma sortie des Beaux-Arts. Un jeu où je suis un pion et où tout est permis. Ce jeu a des ramifications énormes et irrigue encore ma production. Je l’ai d’ailleurs réactivé au Centre Pompidou avec l’installation The Game of Life. Cette nouvelle version, que je vois comme un véritable logiciel en 3D, ouvre sur la possibilité de produire autant de versions d’un objet que son énoncé le permet. Il s’agit d’envisager l’oeuvre d’art non pas comme objet unique mais comme la version visible de l’ensemble des ses versions possibles. C’est un jeu sérieux dans lequel je tente de remplacer le ou conceptuel par un et additionnel. Still Man n’est qu’une énième version de cette chair de pion.

Peut-on parler d’un aspect performatif dans ton travail ?

Je n’ai aucun rapport à la performance telle qu’elle est pratiquée dans l’art, je suis beaucoup trop timide pour cela! Celle que je vois à l’oeuvre chez moi va plutôt dans le sens « Guinness » du terme : recopier depuis toutes ces années le dictionnaire, être coincé dans une position difficile et douloureuse pendant des heures dans mon atelier pour réaliser les moulages de mes pions, engager de longues séries avec des règles très strictes. Il s’agirait presque d’une expression sportive de l’art. Mais j’aime cette idée de ne jamais m’arrêter de travailler et d’offrir sur le long terme une construction plastique ne donnant aucun repos. C’est une façon de me consumer. La Table du Festin reprend cela. Abondance, grouillement, excès ; pas une ligne, pas un motif qui ne semble pouvoir arrêter le regard. En ce sens, La Table du Festin est un espace de dépense où le repos est interdit. C’est peut-être ça mon idée de la performance! J’ai toujours voulu construire sur ce socle-là, d’où ces étranges petites maisons, en équilibre sur ce qui doit disparaître.

Beaucoup d’éléments de cette exposition font référence à des idées déjà en gestation en 1992, avant même ta première exposition à la galerie. Quel regard portes-tu sur cette trajectoire ?

On fait parfois très tôt des gestes dont on ne reconnaît pas tout de suite la consistance ni la profondeur. Mais ils traversent toute la vie. Je comprends mieux aujourd’hui certains d’entre eux. Je les réinvestis, et évidemment entre 1992 et aujourd’hui il y a tout ce que j’ai appris, tout ce que j’ai abandonné, tous les éléments de vie qui affranchissent certaines perspectives. Mais ce qui m’amuse c’est qu’à l’époque j’avais une première vie et j’en commençais une autre. Aujourd’hui j’en ai deux, presque à égalité, une sur les bords de la Méditerranée, l’autre dans la brousse d’une île tropicale du Pacifique. Ces deux paysages ont une influence énorme et contradictoire sur moi ; alors que le premier me pousse à la raison, l’autre me jette dans l’excès. Cette contradiction-là est violente, mais elle reste toujours aussi féconde.


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