Winshluss

29.05.2015
Winshluss — Galerie Georges-Philippe & Nathalie Vallois

Pas la peine de pleurer, personne ne te regarde…
29.05.2015 — 17.07.2015

Pourquoi exposer dans une galerie d’art contemporain, en dehors du circuit BD ?

Ce sont les gens de la galerie Vallois qui sont venus me brancher après la sortie de Pinocchio. Je leur ai dit que vendre des planches originales n’était pas mon but dans la vie. D’ailleurs, je ne suis pas très attaché à mes planches, mon historique est tellement chaotique que j’ai plus tendance à les perdre ! J’ai travaillé avec la galerie autour de la BD mais aussi pour créer des œuvres plus spécifiques, plus de l’ordre de l’illustration ou du volume. J’avais envie depuis longtemps d’utiliser la céramique, j’ai sauté sur l’occase. Si je produis beaucoup, c’est que j’ai besoin d’apprendre. L’échec me fait moins flipper que l’ennui.

Ikea est une de vos cibles, notamment dans cette scène de crucifixion…

Pour peu que tu aies monté une armoire Ikea avec ta meuf ou ton mec, tu sais que ça finit par une scène de crucifixion ! Ikéa appartient à ces choses un peu cheap qui font aussi le couple. Généralement, on a une vision ascensionnelle de l’existence et de l’amour, alors qu’en vrai ça se casse la gueule. Il y la réalité, le quotidien, les poubelles à sortir. C’est pour ça que j’ai fait un crane en céramique avec écrit « Forever ». Autour du crâne, il y a plein d’inscriptions, c’est un mec bourré qui parle à sa meuf et qui s’excuse d’avoir merdé. Ikea, c’est symptomatique de ce qui me fascine et me fout en rogne, l’illusion du choix. Parce que, là-bas, tu trouves une quantité démentielle d’objets mais, au final, tu en sors avec la même chose que tout le monde. Pareil avec la démocratie, on te donne l’illusion que ton vote va changer quelque chose.

« Guernikea » représente même un magasin Ikea envahi par la jungle…

Cette image très conne et primaire marche parce que ça questionne sur plein de choses. En ce moment, l’Occident a peur de disparaître, les gens pensent que c’est grave, comme s’ils n’avaient jamais lu ce qui était arrivé aux Perses ou aux Romains : « Oh la la, qu’est-ce qui va se passer, où sont nos valeurs ? »… Ce mot – « valeurs »- me donne envie de vomir, comme celui de « liberté ». La liberté de quoi ? Que défend-on ? Juste un modèle économique. Je ne peux pas être fasciné par ça. Si on écoute certains, il faudrait revenir dans les années 50. Par rapport à ce qui s’est passé en janvier avec Charlie Hebdo, on ne défend pas quelque chose de noble, on a juste peur. Aux éditions Requins Marteaux, on a publié Akbar ! de Willem. Ce qu’il faut c’est continuer à faire notre métier, sans peur et sans haine.

L’expo propose aussi un hommage au film la Nuit du Chasseur, avec les inscriptions « love » et
« hate » sur des mains accrochées à une rambarde…

J’ai reproduit le cadrage de la scène, c’est plus conceptuel que ce que je fais d’habitude. Je me demandais ce qui restait de cette image si j’enlevais Mitchum. J’aime bien les idées idiotes, les trucs immédiats. Utiliser des têtes de mort ou des tatouages, des choses qui sont has been, et trouver une autre façon de procéder. Cette sculpture est un hommage au film mais aussi à son destin. L’échec monumental à sa sortie de ce chef d’œuvre permet de relativiser le regard des autres ! J’ai appelé cette œuvre « Ciné Club », parce qu’il fait partie des films que, gamin, je regardais en douce très tard à la télé. J’habitais en HLM, la chambre de mes parents était juste à côté. Je ne mettais pas le son mais les films étaient sous-titrés.

Pourquoi avoir appelé l’expo Pas la peine de pleurer, personne ne te regarde ?

Aujourd’hui, tout le monde est devenu son propre personnage. Il faut être en représentation. Ce n’est pas nouveau mais là, avec Facebook et le reste, il y a moyen de le faire en direct. L’intitulé de l’exposition renvoie à cette situation. Aujourd’hui, que tu fasses un truc génial ou une merde, si personne ne le voit, ça n’a plus d’intérêt. Ça pose la question de l’utilité de vivre, est-ce que tu vis pour toi ou pour le regard des autres ? J’ai l’impression qu’aujourd’hui, tu ne peux plus agir de manière gratuite…

Vincent Brunner
Entretien paru dans Télérama (extraits)


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