P.Kos & J.Berthier

23.11.2012
P.Kos & J.Berthier — Galerie Georges-Philippe & Nathalie Vallois

Portrait de Julien Berthier

Vous vous connaissez déjà tous les deux, c’est à San Francisco que vous vous êtes rencontrés. Quand était-ce ?
PK: J’ai enseigné au San Francisco Art Institute pendant 3O ans, et pendant ces années là, je ne me souviens plus quand, Julien est venu y étudier, peut-être un ou deux ans.
JB: Six mois !
PK : Je me souviens avoir été impressionné par une chose en particulier. Julien a eu une formation académique avant de venir. Je l’ai vu à la facilité avec laquelle il pouvait passer d’un matériau à un autre. J’ai toujours défendu l’idée, lorsque j’enseignais, que si vous avez eu une bonne formation académique, si vous avez appris la grammaire (c’est-à-dire la composition, la rapidité, la couleur etc…), vous pouvez alors dans le monde d’aujourd’hui passer d’un matériau à l’autre avec une réelle facilité. Julien semblait pouvoir utiliser beaucoup de matériaux différents, depuis le métal et la soudure – ce que je ne sais pas faire – jusqu’au poisson, que j’ai déjà utilisé dans mon travail ! Une fois que vous connaissez les bases, vous pouvez facilement aller d’un matériau à un autre.
JB : Je crois que nous nous sommes rencontrés en 1997 ou 1998, je ne me souviens plus exactement de l’année. Et je venais effectivement d’une formation académique très différente ; j’avais fait les Beaux-Arts à Paris, où le concept tenait plutôt une place assez en retrait. Quand je suis arrivé à San Francisco, il y avait cette chose incroyable autour de la réaction aux choses, aux endroits, aux situations. Il y avait aussi une manière de discuter très particulière et très intéressante. Paul avait organisé les classes de telle sorte que tout le monde parlait avant l’artiste.
PK : Ma méthode d’enseignement était la suivante : l’artiste-étudiant présentait son travail sans en parler directement avant que le reste de la classe ne le fasse, il ne s’agit pas de parler des intentions verbales de l’artiste, mais seulement de l’art.
JB : Et le travail devait se présenter de lui-même. C’était quelque chose de complètement nouveau. J’ai retrouvé récemment ce cours que tu as donné tout au début du semestre avec des idées essentielles, dont une phrase qui me revient régulièrement en tête, et dont je voulais te demander la signification exacte : « Préférez l’art qui est, plutôt que l’art qui parle de. »
PK : L’art intéressant, je crois, est un nom ou un verbe, et non une préposition, un adjectif ou un adverbe comme « pour », « avec », « mais », « sur », « de », etc… Cela doit être un nom ou un verbe, à l’infinitif même comme creuser, être, etc.
JB : Ce que l’on perçoit, c’est ce que j’appellerais « l’art de la réaction », un type de conscience des choses, des différents éléments : physiques, politiques, ou qui relèvent du paysage. Tout peut être un point de départ pour l’art, et ensuite l’art entre dans le monde.
PK : Un objet trouvé, une situation trouvée, un événement trouvé, une chose trouvée, tout cela conduit à l’art. Je trouve un matériau que j’aime et ensuite je dois en trouver l’utilisation. Ou alors je trouve un objet que j’aime et je dois trouver une situation ou un endroit où cela pourrait fonctionner. Je pense que particulièrement aujourd’hui, en raison de l’art public et des installations à l’extérieur, et de certaines expériences nouvelles quand je suis invité à participer à des expositions, j’essaie de répondre à la situation qui m’est présentée, avec parfois des matériaux qui sont originaires de cet endroit.

Vous avez tous les deux une relation particulière aux objets trouvés et aux situations, mais d’une manière différente. Vous utilisez tous les deux l’humour, la poésie, le son… Mais Julien a sans doute une approche plus politique…

PK : Certaines de mes pièces audio sont ce que je considère être des onomatopées du son en question. Une de mes premières pièces audio est Mar, Mar, March, faite avec le son d’une machine à écrire en tapant les lettres : MAR espace MAR espace MARCH espace. Ce type d’œuvre est souvent générée par le matériau qui les compose. Parfois, il y a aussi des œuvres étranges, comme celle du « yodleur » tyrolien, qui n’est malheureusement pas agréable à écouter, parce que je suis la personne qui chante et que je ne sais pas chanter. Mais j’essaie.
JB : Je pense qu’on revient à cette idée de réaction, tout peut être un matériau. Quand Paul utilise le son d’une machine à écrire, c’est un matériau. Pour moi, quand on parle du politique, du social, on parle en réalité du contexte. Je fais beaucoup de pièces qui sont inscrites dans une réalité. Elles vivent dans cette réalité.
PK : Quand je vois ton travail, tu construis une situation qui peut s’inscrire dans une certaine logique et qui maintient cette logique dans la situation. C’est ce que le spectateur voit, une vision du monde, même si elle est absurde. Mais une fois dedans, la logique est maintenue, c’est constant.

Le dessin occupe une part très importante dans ton travail Julien. Et pour toi Paul, le dessin est plus un laboratoire où vous tester tes idées…

JB : Le dessin est aussi un laboratoire d’idées pour moi. Chaque dessin est une idée. Je ne recherche pas une qualité ou une émotion. Il y a de l’émotion bien sûr, mais c’est surtout autour d’une idée. Et je veux exprimer cette idée avec le plus de justesse possible. Parfois cela devient une œuvre à part entière, et parfois cela reste un brouillon. Tous mes dessins, ou presque, sont faits sur une banale feuille A4 que l’on peut trouver n’importe où. Il y a cette notion d’idée écrite à la va-vite sur un morceau de papier trouvé n’importe où. Je pense que ces dessins existent par eux-mêmes, mais ils font aussi partie d’un procédé de réflexion en soi. On peut les mettre côte à côte comme constituant un projet, un commentaire, un jeu de mots. C’est une réflexion globale, une action permanente, latente, de ma part.
PK : Je fais également des dessins comme moyen de visualiser rapidement une idée. Ce peut être deux ou trois lignes écrites, ou un dessin. Je les fais souvent sur des papiers de chewing-gum, ou sur des serviettes en papier au restaurant, donc je n’en prends pas grand soin. Mais parfois je réalise des dessins « modèles » qui deviennent des œuvres à part entière quand je ne peux pas réaliser un projet.

Paul, considères-tu cette exposition à Paris comme une large présentation, spécifique pour le public français, de ton travail, et/ou comme une « mini » rétrospective ?

PK : C’est en effet une « mini » rétrospective depuis 1968. Il y a aussi des œuvres que je n’aurais pas présentées à New York ou ailleurs, celles qui ont pour thème la pétanque, parce que c’est un jeu qui a été inventé en France, et que je suis complètement accro à ce jeu ! D’ailleurs, pendant ces dernières semaines, je n’ai pas encore gagné une partie de pétanque sur le sol français et je suis un peu déçu.
Quand je suis venu à Paris en 1995, j’ai vu une excellente exposition à la galerie Jousse Seguin appelée Pièces-Meublées, où il y avait du mobilier des années 1930-1950, à côté d’objets d’art, par exemple un tableau de Lawrence Weiner placé au-dessus d’un canapé. Et j’ai tellement adoré cette idée, que je suis rentré chez moi et j’ai fait des « pièces-meublées », comme les œuvres Emboss que vous pouvez voir dans cette exposition, où si vous vous asseyez suffisamment longtemps sur une chaise, elle vous laisse son empreinte sur votre chair et vous vous en allez avec. J’ai réalisé ces photographies dans un style années 1920, en noir et blanc, à la française !

Nous indiqueriez-vous une grille de lecture à travers laquelle le public devrait parcourir vos expositions ?

PK : Non, au contraire, ce que je recherche, c’est vraiment l’expérimental. C’est le moment présent qui m’intéresse quand on regarde les œuvres. Ce n’est pas au passé, c’est au temps présent. C’est aussi « viscéral », il doit y avoir un sentiment de « je suis ici et maintenant et cela a un effet », comme faire grincer ses ongles sur un tableau noir.
JB : Je présente une installation appelée A LOST, que j’ai faite il y a un an et demi quand Paul m’a invité à participer à une exposition à San Francisco. C’est un bon exemple de ce dont on est en train de parler. Je marchais dans la rue, en me demandant ce que j’allais faire, et j’ai vu cette énorme banderole publicitaire pour Bay Alarm, une entreprise de systèmes d’alarmes privées. C’était écrit en blanc sur fond rouge en lettres gigantesques : « Making thievery a lost art » (« Faire du vol un art oublié »). À ce moment-là, je faisais quelques actions « illégales » dans l’espace public. Je savais que c’était une publicité, mais j’avais l’impression qu’elle m’était adressée tout particulièrement. En regardant cette publicité, j’ai décidé de grimper sur le panneau et de voler les mots « a lost ». Ce qui se retrouve dans l’exposition est donc un type de projet conceptuel qui joue avec les mots, juste avec un morceau de bâche publicitaire. En face, sur le mur opposé, vous avez le résultat: « Making thievery art » (« Faire du vol un art »), une photographie de la banderole après le vol ! L’un répond à l’autre, l’un justifie l’autre, c’est tautologique. Maintenant, la publicité justifie l’œuvre comme étant de l’art et le geste lui-même.
PK : Ce qu’il a fait est un crime aux Etats-Unis, au-delà de $600, il aurait pu aller en prison, ou aurait pu être renvoyé en France. Cette œuvre est nettement mieux qu’un graffiti. Un graffiti ajoute quelque chose, là l’oeuvre soustrait. Tu as volé quelque chose, comme un voleur, tu as pris quelque chose, et c’est tellement mieux qu’un graffiti !


33 36 rue de Seine
75006 Paris – FR
+33(0)1 46 34 61 07
info@galerie-vallois.com


NY Fleiss-Vallois
1018 Madison avenue
NYC, NY 10075 – USA
(646) 476 5885
info@fleiss-vallois.com