Jean-Yves Jouannais

31.10.2014
Jean-Yves Jouannais — Galerie Georges-Philippe & Nathalie Vallois

Portrait de Jean-Yves Jouannais

As-tu commencé cette « collection de planches de guerre » présentée à la galerie au même moment que tes conférences sur « l’Encyclopédie des guerres » au Centre Georges Pompidou ?

Ma première conférence à Beaubourg date de septembre 2008, mais avant cette date j’avais commencé à réunir une collection de citations, de bribes de livre de guerre accompagnées d’illustrations, mais aussi de ce que j’inventais pour illustrer certaines « entrées ». Une série de planches autour des matériels de guerre était notamment censée illustrer l’entrée « Histoire Naturelle », que j’attribuais (de manière fictive) à mon grand-père paternel : Jean Jouannais. Dans un premier temps, ces planches avaient donc une fonction d’illustration, je n’avais pas songé à l’époque à leur autonomie, à leur existence en tant qu’objet. J’avais un plaisir immense à les réaliser. J’essayais de me projeter dans le travail de ce grand-père mort en 1945, en utilisant des documents de l’époque ainsi qu’une machine à écrire des années 40.

Tu as été rédacteur en chef d’Art Press, publié de nombreux ouvrages (dont dernièrement « Les barrages de sable : Traité de castellologie littorale », éditions Grasset, 2014), réalisé des films sur l’art, fait régulièrement des conférences … De quelle nature est la relation entre « tous tes travaux » ?

Il serait sans doute plus confortable de donner un statut, une définition à l’ensemble de mon travail. Je me vois plutôt comme un « auteur » en regard du lien privilégié que j’entretiens avec l’exercice de l’écriture, « un auteur à extensions » peut-être. Les planches de guerre viennent prolonger mon projet littéraire de « l’Encyclopédie des guerres » et acquièrent le statut d’œuvres à part entière. Il s’agit simplement de s’autoriser à faire des choses qui produisent du plaisir et du sens, sans imaginer des cloisonnements souvent artificiels.

La transmission semble importante dans ce travail, celle de ton grand-père d’abord, mais aussi celle d’autres personnes de ta famille, tes enfants que tu cites ou qui sont susceptibles d’intervenir …

La question de l’héritage est au cœur de « l’Encyclopédie des guerres ». Celle-ci comporte d’ailleurs un département baptisé « Département des héritages ». Ce dernier, d’ailleurs, me dépasse et me déborde d’un point de vue chronologique : je me bricole un héritage que j’aurais dû recevoir de mon grand-père qui ne me l’a pas transmis, et je le construis aussi à destination de mes enfants.
En échangeant tous mes livres contre des livres de guerre, mes enfants hériterons de cette bibliothèque et n’aurons pas connaissance des autres formes de littérature qui ont constitué ma première bibliothèque.
Ma mère m’a récemment parlé de mon premier livre, en fait un livre d’histoire, un premier « chantier littéraire » fait d’une collection de bribes de textes et d’images prélevées et découpées dans des livres scolaires. En fait, c’est un peu comme si entre l’âge de dix ans et l’âge de quarante-quatre ans, j’avais eu une vie professionnelle « d’adulte » et, cette parenthèse refermée, j’avais repris exactement où je l’avais laissé ce projet très ancien et enfantin. En réalisant les planches de guerre, j’ai retrouvé le plaisir de l’enfant qui construit des maquettes. J’aime cette idée du temps qui passe comme ce projet d’enfance qui prend une forme mature sans qu’il y ait préméditation.

Je t’ai connu très attaché à cette idée de « l’artiste sans œuvres », j’ai plutôt la sensation d’avoir à faire à un artiste « tout œuvre », « tout terrain » !

Nous nous intéressons toujours aux objets et phénomènes qui ne nous ressemblent pas. J’ai écrit un livre sur l’idiotie car j’aurais adoré être un « vrai idiot ». J’ai peut-être failli être un artiste sans œuvres mais toutes ces œuvres existantes ne me permettent pas aujourd’hui de revendiquer ce statut ! Dans le domaine de la littérature, les deux auteurs qui ont le plus parlé de l’incapacité à écrire, de l’absence d’œuvre (Jorge Luis Borges et Enrique Vila Matas) ont été ou demeurent très prolifiques !
Ce modèle me fascinait parce qu’il ne me ressemblait pas.

Quels chantiers ne connaissons-nous pas encore ?

Il existe d’autres projets que j’attribue au même grand-père que je n’ai pas encore réalisés. Il y a par exemple une entrée « Énergie » dans « l’Encyclopédie des guerres » que je n’ai pas encore traitée. Ce grand-père Jean Jouannais rêvait de quantifier la somme d’énergie déployée dans telle ou telle bataille, de faire une espèce de portrait des batailles en kilojoules !
D’autre part, je ne peux m’empêcher de voir ma bibliothèque de guerre, fruit de l’échange de ma bibliothèque personnelle contre des livres de guerre, comme une sculpture en mouvement et suis le seul, pour l’instant, à percevoir ce système de vases communicants. Comme je le vis comme une sculpture, il est imaginable qu’un jour je lui trouve une forme pour partager cette expérience de la « bibliothèque sculpture ».


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